lundi 9 février 2009

Il neige à Montréal


Compression de la neige à l’aide d’un rouleau géant afin de permettre à des chevaux de tirer des billots sur la glace, sur la rivière des Outaouais, [1924]

Il neige à Montréal ou une autre manière de regarder tomber la neige


Depuis novembre 2008, 184,9 centimètres de précipitations sont tombées sur Montréal. Debouts, tout drette, Barack Obama, Adriana Karembeu, Pete Sampras, Nicolas Cage, Harrison Ford, Johnny Halliday et Zinedine Zidane, (se tenant la main ?) sont ensevelis. Ne dépasse que le pompon de leur bonnet. Et ce n'est pas fini, les marmottes sont unanimes, en moyenne 220 cm se précipitent icitte par hiver.




A notre arrivée, fin août, la banquière fut l'une des premières personnes a nous parler de l'hiver. Celui de 2008, racontait-elle, a coûté si cher, que la ville de Montréal a été contrainte d'emprunter de l'argent pour continuer à assurer un service de déneigement. Sans expérience de ce fameux hiver montréalais, je ne voyais pas très bien comment la neige pouvait devenir une histoire de gros sous (voir de très gros sous).

Impossible de m'imaginer alors, que pour l'année 2008, le coût moyen d'une tempête de neige avec une accumulation au sol de 25 cm est de 17 millions de dollars canadiens ! « Environnement Canada ». Là, les chiffres s'emballent, car, à en croire la « Ville de Montréal », le coût moyen de chaque centimètre de neige reçut par la ville au cours d'un hiver serait de 500 000 $ à 750 000 $. Un peu de poésie subsiste, aucune étude sérieuse sur le coût d'un flocon. En tout cas, le budget total prévu pour 2008 était de 127 millions et cette fois tout le monde s'accorde sur le déficit de 30 millions. La ville a donc, très logiquement, revu son budget pour 2009 : 130 millions de $ canadiens !




A partir du 15 novembre et pendant quatre ou cinq mois, selon les arrondissements, (sont- ils exposés à un hiver moins rigoureux ? Ou plus optimistes ?) certaines opérations de déneigement sont sous-traitées auprès d'entreprises privées rémunérées en « fonction du nombre de centimètres de neige que Montréal reçoit réellement au cours de leur contrat». (le « réellement » est mesuré par une station météo est-il précisé). Et pour ce qui concerne le transport de la neige vers les sites d'élimination, qui représente tout de même un budget annuel moyen de 76,2 Millions $ : « en général les entreprises externes propriétaires des camions ... sont rémunérées en fonction du nombre de mètres cubes de neige transportée et de la distance parcourue ». 50% de ces travaux sont effectués par la ville, l'autre moitié par des entrepreneurs privés.



Budget affecté au déneigement en 2008

Épendage 25,4 M$
Déblaiement 12,7 M$
Chargement 76,2 M$
Élimination 12,7 M$
Total 127 M$
L'enlèvement et le transport de la neige représentent, à eux seuls, plus de la moitié des coûts de déneigement.




C'est l'hiver à Montréal, la neige tombe, se précipite, innocente. Apprivoisée et appréciée en pistes de luges, en igloo et par moult jeux d'enfants, les adultes, eux, la traquent. Elle dégringole des balcons et escaliers à grand coup de pelles (1 634 547 habitants sur le territoire de Montréal : et à mon avis au moins autant de pelles à neige), travail d'amateur. Les professionnels, « cols bleus » pour moitié, organisent le combat : épandage, déblaiement et enfin élimination de la neige.




Plus de 170 épandeuses utilisent chaque hiver entre 120 000 et 135 000 tonnes de sels de voiries (en fait, du chlorure de sodium, le même composé que le sel utilisé en alimentation ) afin « d’assurer la sécurité routière et des piétons sur l’ensemble de l’île de Montréal ». Cruel pour toute chaussure en cuir non traité, mais aussi pour l'environnement ; créé récemment par la ville de Montréal, le « Bureau stratégie neige » ayant pour mandat « de procéder à l’élaboration du Plan de gestion des sels de voirie en conformité avec les recommandations d’ Environnement Canada ». Bonne nouvelle.


Sur les quelques 6550 km de trottoirs qui paraissaient immenses cet été ; les chenillettes, petits tracteurs carrés (au style bizarrement soviétique) poussent et créent un passage (plus ou moins sûr) pour les piétons. Seul à bord de cette machine valant la bagatelle de 146 000 $ un chauffeur, (je n'ai pas encore vu de femmes) souvent jeune, sympathique, dynamique, très engagé dans la lutte, si l'on en croit sa conduite passionnément nerveuse. Voisins et compagnons indissociables des chenillettes lors du déblaiement, les niveleuses et chasses-neige, poussent et repoussent la neige de concert, sur les (cette fois) 4100 km de chaussée.




La rue résonne de bip bip et comme enfant, je me précipitais au passage du train, c'est collée à la fenêtre que je découvre les gyrophares des énormes engins. Procession incroyable. Difficile au prime abord de saisir la chorégraphie. Énormes roues tordues à l'avant, l'engin qui dégage lentement la chaussée attrape immédiatement le regard, hypnotisant, il semble être le chef. Les amas de neige, comme autant d'icebergs malmenés par un brise-glace, se forment et couvrent presque les voitures des imprudents ou ignorants de la signalisation. Contrastant avec la lenteur déterminée de ceux qui progressent sur la chaussée, la chenillette que je peux maintenant reconnaître et nommer,œuvre comme un insecte. Une mouche du coche effectuant de nerveux allers retours sur le trottoir, redessinant un espace plus civilisé.

Environ 85 événements météo nécessitent une telle intervention chaque hiver. Cette neige, outragée, brisée, martyrisée est ensuite aspirée et recrachée par les souffleuses pour atterrir dans la remorque des tracteurs-chargeurs, ces gros trucks angoissants (rémunérés au volume transporté...) à qui l'ont doit tout de même trois morts dans la seule journée du 3 février 2009.



Accidents mortels reliés au déneigement à Montréal

2005 : 2 2006 : 0 2007 : 0 2008 : 1 2009 : 3


7 milliards de litres d'eau approximativement, (soit la consommation en eau de source et minérale bue par les français en un an ou l'équivalent du marché turc des eaux embouteillées en 2006) c'est ce que représentent les 13,5 millions de mètres cubes de neige transportés vers les sites d'élimination : 375 000 chargements de camion au cours d'un hiver. L'ancienne carrière St Michel dans l'arrondissement de Villeray, le plus important site d'élimination au Québec, peut recevoir jusqu'à 200 camions par heure au cours d'une des six opérations (moyenne par hiver) de déneigement. Les fondeuses à neige n'étant plus utilisées (depuis 1990) et le fleuve Saint Laurent épargné de cette pollution citadine depuis 1999, la neige enlevée « est soit déversée vers le système d’égout où elle fondra, soit entassée jusqu’à la fonte des neiges. ». Ainsi se termine la vie du flocon, traqué par plus de 3 000 personnes et un millier de véhicules, dans la ville de Montréal.



Dans la nuit de l'hiver
Galope un grand homme blanc.
Galope un grand homme blanc.
C'est un bonhomme de neige
Avec une pipe en bois
Un grand bonhomme de neige
Poursuivi par le froid.
Il arrive au village
Il
arrive au village
Voyant de la lumière, le voilà rassuré.

Dans une petite maison, il entre sans frapper.

Dans une petite maison, il entre sans frapper.
Et pour se réchauffer
Et pour se réchauffer
S'asseoit sur le poêle rouge
Et d'un coup disparaît.
Ne laissant que sa pipe
Au milieu d'une flaque d'eau
Ne laissant que sa pipe
Et puis son vieux chapeau.

Jacques Prévert

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